Venise 1594-1989

Biagio Marini, Claudio Merulo, Luigi Nono

Venise a été et reste toujours l'un des centres culturels majeurs en Europe. Pourtant, à y regarder de près, bon nombre d'acteurs de l'émancipation esthétique propre à ce lieu n'en étaient pas des natifs ou, autre cas avéré à de nombreuses reprises, des artistes vénitiens se sont fait connaître ailleurs avant, éventuellement, de retourner à Venise et y achever leur carrière. Ainsi, les œuvres de l'opus VIII de Biagio Marini ont été composées à Neuburg an der Donau en Bavière, tandis que Hay que caminar - sognando vit le jour à Berlin et Freiburg-im-Breisgau où Nono séjournait fréquemment pour concevoir ses œuvres avec électronique.

Il est remarquable de constater à quel point des éléments techniques fondamentaux de la musique composée à Venise – ou en relation avec Venise – constituent l'épine dorsale d'une esthétique d'une incroyable longévité.

En premier lieu, Venise a sans cesse montré une grande ouverture pour les nouveautés, les bizarreries, les curiosités : Marini s'en sert d'ailleurs comme "argument de vente" dans la page de titre de son opus VIII, joué ce soir, et il a été possible pour Luigi Nono de faire construire par son ami architecte Renzo Piano une structure en bois permettant d'accueillir musiciens et public dans une même entité pour la création de son Prometeo à Venise en 1984.

Marini comme Nono ont tous deux une grande expérience de la vocalité, qui se traduit par un souci constant l'élocution et d'éloquence dans la musique instrumentale : chez les deux compositeurs, le violon "parle" réellement.

Tant durant la riche période de transition entre Renaissance et baroque que dans la période contemporaine, l'espace comme paramètre à part entière dans la conception et l'interprétation de la musique : Venise était célèbre dans toute l'Europe pour sa pratique des cori spezzati, chœurs vocaux et/ou instrumentaux répartis tout autour du public. On retrouve cette technique in nuce dans l'œuvre de Luigi Nono jouée ce soir : les deux violons sont comme deux sources sonores en constant mouvement de part et d'autre du public, se souvenant ainsi des fastes vénitiens d'antan. — Brice Pauset


Biagio Marini

Biagio Marini naît à Brescia le 3 février 1594 avant d'être formé probablement par son oncle Giacinto Bondioli. Dès 1615 on le retrouve en tant que violoniste à Saint-Marc à Venise sous la direction de Monteverdi. Il voyagera beaucoup : on retrouve sa trace à Brescia, Parme, puis à Neuburg an der Donau, où il sera employé comme maître de chapelle de 1623 à 1649 au service de la cour de Bavière des Wittelsbach. C'est en 1656 qu'il retrouvera définitivement Venise où il mourut le 17 novembre 1663.

Marini occupe une place fondamentale dans le développement de la technique du violon. C'est dans ses œuvers que l'on trouve pour la première fois des nouveautés techniques telles les doubles et triple-cordes, le vibrato d'archet et la scordatura. Lui-même violoniste virtuose, il laissera de nombreuses œuvres imprimées pour son instrument – portant des numéros d'opus – et cet aspect de sa production estompera l'exceptionnelle qualité de sa musique vocale, qui reste encore à redécouvrir. —Brice Pauset

Biagio Marini: Sonate, symphonie,Canzoni, Passemezzi, Baletti, Corenti, Gagliarde e Retornelli per ogni sorte d’Instrumenti

L'opus VIII de Marini rassemble 61 pièces dans une grande variété de genres : sonates, symphonies, canzone, balletti et autres mouvements de danse sont rassemblé avec un souci d'ordonnancement rationnel. De nombreuses pièces – dont deux jouées ce soir – présentent des nouveautés techniques quant au violon, notamment le Capriccio, sonnant à quatre parties, mais en réalité écrit pour deux violons. La notation de la partition publiée est très parlante des pratiques d'interprétation de l'époque : tandis que les pièces polyphoniques de facture traditionnelle ne sont imprimées que sous la forme de parties séparées (il n'y a pas de partition générale superposant tous les instruments), plusieurs sonates très virtuoses et riches en épisodes contrastés sont elles imprimées sous forme de partition, ce qui permet à la basse continue de garder un contact étroit avec la partie soliste.

D'une stupéfiante inventivité, ces œuvres peuvent être vues comme des pendants instrumentaux des madrigaux – l'autre forme qui dominait alors la pratique musicale en Italie du nord. Intensément vénitienne, ce recueil fut pourtant composé vers 1625-1626 à Neuburg an der Donau, où Marini était alors employé. La partition imprimée sortit elle des presses de Bartolomeo Magni à Venise en 1629. — Brice Pauset


Claudio Merulo

Claudio Merulo vit le jour à Correggio le 8 avril 1533. Il y étudie la composition et l'orgue avant de se rendre à Venise pour se perfectionner auprès du grand théoricien Gioseffo Zarlino. Il impressione tant par son jeu au clavier qu'il se voit rapidement offrir le poste de second organiste en 1557, puis neuf ans plus tard celui de premier organiste à Saint-Marc. Pour une raison encore inconnue il quitte subitement Venise en 1584 pour rejoindre la cour du duc Alessandro Farnese à Parme où il séjournera jusqu'à sa mort le 4 mai 1604. Il laisse un abondant catalogue d'œuvres pour instruments à clavier. Sa musique vocale ajoute à plusieurs collections de madrigaux et de motets quelques messes spectaculaires en pur style vénitien, caractérisées par la multiplication de chœurs spatialisés tout autour du public. — Brice Pauset


Claudio Merulo : Toccate d'intavolatura d'organo (Libro I, Libro II)

Son style d'écriture pour clavier marie précision, élégance, fantaisie et expressivité. Il est l'un des tout premiers compositeurs à recourir à un idiome spécifique au clavier, tout en incluant des moments polyphoniques comparables à la pratique courante d'alors, imitant le jeu à quatre parties du  contrepoint vocal. Dans mon propre travail d'interprétation de la musique de Merulo, j'ai essayé autant que possible de retrouver le rapport au clavier typique de l'époque, qui considérait la main droite d'une toute autre manière que dans les phases ultérieures de l'histoire de la musique : on n'utilise presque jamais les 1er et 5ème doigts (pouce et auriculaire) afin d'articuler au mieux les spectaculaires guirlandes de ses Toccate. Son art de la diminution (un type particulier d'ornementation consistant à ajouter des notes rapides, souvent en mouvement conjoint, entre les notes écrites) est fascinant dans son utilisation sans cesse renouvellée de figures hautement codifiées. Les partitions sont intégralement écrites et donnent une idée assez claire de l'ornementation que l'on peut pratiquer dans d'autres contextes de ce temps. — Brice Pauset


Luigi Nono

Luigi Nono est né le 29 janvier 1924 à Venise. Sa vie entière est marquée par la fidélité à son engagement politique marqué par le communisme révolutionnaire. Intensément expressive, sa musique trouve ses origine techniques dans le sérialisme, mais en dépasse très rapidement les apories. Son langage musical est de tradition vocale, même lorsqu'il compose pour les intsruments ; l'électronique, surtout l'électronique "live" (qui consiste à transformer les sons des voix et des instruments au moment même de leur émission), l'intéresseront sans cesse et il collaborera très activement avec l'Experimentalstudio de la SWR (Radio d'Allemagne du sud-ouest) pour la conception de ses œuvres à partir du début des années 1980. Il meurt le 8 mai 1990 à Venise. — Brice Pauset


Luigi Nono: Hay que caminar - sogñando (1989)

Hay que caminar - sogñando est la dernière œuvre achevée de Nono. Une parenté secrète la lie au quatuor à cordes composé neuf ans plus tôt: Fragmente-Stille, An Diotima. Dans les deux œuvres, Nono utilise la scala enigmatica des Quattro pezzi sacri de Verdi. Dans la partition du duo, Nono indique les notes correspondant à cette gamme; elles doivent être mises en relief par les interprètes, jouées presque sans vibrato. Toutes deux purement instrumentales, ces œuvres encadrent ainsi la période de composition des années quatre-vingt. A cette époque, Nono explorait les possibilités de transformation électronique en temps réel offertes par l'Experimentalstudio de Freiburg, en se concentrant sur les problèmes de spatialisation et d'analyse du son. « Hay que caminar - soñando » ne constitue pas un simple retour à la musique instrumentale ; les expériences faites avec l'électronique y ont laissé des emprintes profondes, clairement perceptibles dans le concept du « son mouvant ». Alors qu'auparavant il fallait recourir aux haut-parleurs pour faire « tourner les sons », les interprètes deviennent ici eux-mêmes les sources sonores mouvantes. De fait, les huit pages de la partition sont distribuées sur trois pupitres disposés à divers endroits de la salle de concert; les interprètes choisissent l'ordre et le chemin qu'ils souhaitent suivre pour aller d'un pupitre à l'autre. Les expériences de Nono avec la transformation électronique se retrouvent également dans la micro-structure du son– dans les registres extrêmes, dans l'articulation différenciée et dans l'échelle de volume sonore allant jusqu'au septuple piano. Ces caractéristiques– la mobilité subtile du son et la recherche des limites de l'audible humain– renvoient à Prometeo, l'œuvre centrale de Nono des années quatre-vingt. Par cette restriction récente à la musique purement instrumentale, Nono cherchait lui-même de nouveaux « chemins » pour réaliser son programme visionnaire. Sa mort, en mai 1990, a mis une fin brutale à cette recherche. — Max Nyffeler, février 1991 (traduction de l'allemand : Marielle Larré)


Programme

Biagio Marini: Sinfonia Prima à 3 en sol majeur con doi violini

Biagio Marini: Sinfonia Seconda à 3 en sol majeur con doi violini

Claudio Merulo: Toccata prima en ré (Toccate d'intavolatura d'organo: Libro I , 1598)

Biagio Marini: Sonata Terza variata per il Violino solo en la mineur

Biagio Marini: Sinfonia Quinta à 3 en la mineur con doi violini

Biagio Marini: Sonata Quarta per il Violino per sonar con due corde en la mineur

Biagio Marini: Capriccio per sonar quatro parti con doi violini en sol majeur

Claudio Merulo: Toccata seconda en sol (Toccate d'intavolatura d'organo: Libro II, 1604)

Luigi Nono: « Hay que caminar » - soñando. pour deux violons (1989)

Les œuvres de Biagio Marini sont tirées de son opus 8: „Sonate, symphonie,Canzoni, Passemezzi, Baletti, Corenti, Gagliarde e Retornelli per ogni sorte d’Instrumenti“, Venise, 1626


Interprètes

L'Académie des Cosmopolites

Céline Steiner, violon baroque et violon moderne
Viola Grömminger (invitée), violon baroque et violon moderne
Brice Pauset, clavecin (Thomas Schüler, d'après Alessandro Trasuntino, Venise, 1531)
Caroline Delume, théorbe
François Poly, basse de violon à cinq cordes

Durée totale du concert: 1h30 environ

Louis Couperin

Intégrale de la musique pour clavecin, fantaisies et symphonies pour ensemble

La presque intégralité de l’œuvre pour clavecin de Louis Couperin est conservée dans le manuscrit Bauyn, qui date au plus tôt des années soixante du XVIIème siècle. Ce même manuscrit comporte de nombreuses pièces de Johann Jacob Froberger, ainsi que de nombreux morceaux de compositeurs français contemporaines de Couperin. Les suites pour clavecin ne faisaient pas encore systématiquement l’objet de constructions entièrement déterminées et l’interprète pouvait choisir de combiner différentes pièces afin de constituer une suite cohérente musicalement. C’est exactement le principe de ce programme qui va, pour deux suites, combiner des œuvres de Froberger et Dumont (œuvres présentes dans le manuscrit de référence de cette intégrale) afin d’accompagner Louis Couperin.
Par ailleurs, ce programme va mettre ponctuellement l’accent sur le rapport entre ces deux immenses créateurs qu’étaient Couperin et Froberger – un français et un allemand (ou plutôt un européen, au vu des incessants voyages du second, à Bruxelles, Vienne, Paris, Londres entre autres) qui se sont vraisemblablement rencontrés aux moins une fois à Paris et qui ont nourri l’un pour l’autre une admiration sincère et profonde.

L’histoire de la musique française pour clavecin peut se décliner sous la forme d’une longue généalogie de familles de musiciens ou de relations entre maîtres et élèves. De ce point de vue, le manuscrit Bauyn, source principale de cette intégrale, constitue un cas typique de telles relations : la musique de Louis Couperin y côtoie en effet celle de son maître Jacques Champion de Chambonnière, tandis que les dynasties des Gauthier et des Richard voisinent des figures surtout connues pour leur musique vocale, tels Henry Du Mont.
On retrouvera les affects extrêmes liés aux genres dont Louis Couperin portera la perfection à son plus haut degré : tout particulièrement les chaconnes et passacailles et, afin de conclure chaque concert, la déchirante pavane en fa dièze mineur.
Un dernier mot enfin : ma profonde admiration pour la musique de Marc-Antoine Charpentier est depuis toujours entachée par la frustration de ne rien pouvoir jouer de lui au clavecin : en effet, on ne connaît aucune pièce originale pour clavier du grand compositeur, de 17 ans cadet de Louis Couperin. Cette frustration sera enfin levée, sous la forme d’une transcription de la symphonie ouvrant la messe à huit voix H3, qui préludera une des suites en ré mineur du programme.

Interprètes:

L’Académie des Cosmopolites
Céline Steiner, violon baroque,
Caroline Delume, théorbe,
François Poly, basse d’archet en taille,
Brice Pauset, clavecin (Brice Pauset, d’après un clavecin anonyme parisien, ca. 1680)

L’intégrale de la musique pour clavecin, avec les fantaisies et symphonies de Louis Couperin des deux œuvre nécessite quatre concerts.

L'Autriche à la fin du XVIIème siècle

De même que la musique autrichienne du XVIIème siècle montre de nombreux points de réelle indépendance vis-à-vis de son voisinage germanique et des influences tant italiennes que françaises, son instrumentarium présente une étonnante originalité : usage fréquent de la scordatura (accordage spécifique différent) au violon, conception hors-norme du clavecin avec notamment l'octave courte viennoise, basse continue fortement colorée par les cordes graves aux reflets multiples.

Ce programme éclaire trois générations de compositeurs ayant composé en Autriche au XVIIème siècle et propose des œuvres marquantes pour violon et basse continue de Johann Heinrich Schmelzer, Heinrich Ignaz Franz Biber et Georg Muffat, dont la magistrale Passacaglia en sol répond à la suite en ré de Johann Jacob Froberger.

Ces programme permet en outre de faire la connaissance sonore d'une des seules copies de clavecin autrichien de l'époque, le mystérieux "HN 1696" conservé au musée instrumental de Vienne et dont le facteur Christoph Kern en a réalisé une magnifique copie de l'état original.

Programme

Heinrich Ignaz Franz Biber (1644-1704): II. Sonate d-moll (C.139) aus: Sonatae Violino Solo (Salzburg, 1681) ca. 10 Minuten Violon, clavecin, théorbe, basse d'archet en taille, violone en sol

Johann Jacob Froberger (1616-1667): Suite V D-Dur (Wien, 1656) ca. 9 Minuten Clavecin solo

Johann Heinrich Schmelzer (1623-1680): III. Sonate g-moll aus: Sonatae Unarum fidium seu a violino solo (1664) ca. 11 Minuten Violon, clavecin, théorbe, violone en sol

Georg Muffat (1653-1704): Passacaglia g-moll aus Apparatus Musico-Organisticus (1690) ca. 7 Minuten Clavecin solo

Georg Muffat (1653-1704): Sonata d-Dur Prag (1677) ca. 15 Minuten Violon, clavecin, théorbe, basse d'archet en taille, violone en sol

Heinrich Ignaz Franz Biber (1644-1704): VI. Sonate c-moll (C.143) aus: Sonatae Violino Solo (Salzburg, 1681) ca. 16 Minuten Violon, clavecin, théorbe, basse d'archet en taille, violone en sol

Interprètes

"L'Académie des Cosmopolites" Violon : Céline Steiner Brice Pauset, clavecin (Christoph Kern, d'après le "HN1696", Vienne, vers 1680) Théorbe : Caroline Delume Basse de violon : François Poly Violone en sol : Massimo Pinca

Heinrich Ignaz Franz Biber : « Sonates du Rosaires » (environ 1678)

„Les sonates du rosaire“ ou „Les sonate du mystère“ de Heinrich Ignaz Franz Biber nous sont en réalité parvenues sans titre, mais seulement illustrées par des petites gravures du chemin de croix, dans un seul manuscrit connu- celui de Munich- que Biber avait fait calligraphier pour le prince archevêque de Salzbourg Maximilian Gandolf Graf Kuenburg. Ayant été engagé comme musicien de cour en 1670 Biber lui avait déjà dédié quatre grands cycles d’œuvres représentatives différentes, qu’il appelait lui-même son Quadriga, dans des versions imprimées pendant une période de seulement huit ans entre 1676 et 1683. (1676 Sonatae ta maris quam aulis servientes, 1680 Mensa sonora, 1681 Sonatae Violino solo, 1683 Fidicinium sacro-profanum).

Le choix de Biber de ne pas avoir laissé publier ses sonates du rosaire comme il l’avait fait pour ses œuvres précédentes laisse soupçonner qu’il s’était réservé ces sonates pour son propre usage en tant qu’interprète dans des cadres privés au sens de la musica reservata et aussi qu’il n’avait pas voulu se soumettre à la technique de l’impression typographique qui ne permettait pas de reproduire les double-chordes pour la musique de violon.

Biber qui était le plus grand virtuose du violon de son époque tisse un lien fort entre la musique populaire de son temps et la musique savante à travers l’usage des scordaturae qui était très répandu chez les musiciens populaires. Il représente le point culminant de la virtuosité en scordatura, même s’il n’était pas le seul à son époque à l’utiliser dans la musique savante : la scordatura (un accord différent du violon que l’habituel sol-ré-la-mi) était déjà bien connu dans la première moitié du XVIIème siècle en Moravie, par exemple dans la collection de pièces „Liechtensteinsche Musiksammlung“ de Kremsier, où se trouve entre autres des œuvres de Kilmanseck, Johann Heinrich Schmelzer et Johann Fischer que Biber devrait avoir connu.

Il s’approprie cette technique pour élargir l’expression du violon grâce au lien entre le contenu symbolique et théologique de ses sonates, les tonalités et la structure sonore de chaque scordatura qui est dûe aux tensions et résonances de l’instrument très variées et qui permet d’en changer le timbre entre une grande tension trompettante (quand le violon est très tendu avec un accord très haut) jusqu’à des couleurs de viole (quand le violon est plus détendu).

« Malgré » sa technique de violon exceptionnelle, Biber ne se laisse jamais tenter par des passages de virtuosité vide de sens : la virtuosité et la technique de violon imposée par la scordature restent toujours en dialogue avec les idées musicales de composition de la pièce. C’est une musique qui offre à chaque moment différentes possibilités d’interprétation, qui est à la fois religieuse et universelle dans le dépassement des données du programme liturgique, et qui atteint autre chose, une métaphysique au-delà du cadre religieux. — Céline Steiner

L’intégrale des quinze Sonates du rosaire peut être jouée soit en deux concerts de durées généreuses, ou en trois concerts suivant ainsi la structure interne de l’œuvre. La passacaille pour violon seul peut être ajoutée.
De courtes pièces pièces pour clavecin seul, contemporaines de l’œuvre de Biber (A. Poglietti, F. T. Richter, Georg Reutter d. Ältere) sont ajoutées aux moments où les violons joués sont ré-accordés en fonction des différentes scordatures.

 

Interprètes

L’Académie des Cosmopolites

Céline Steiner, Violon
Brice Pauset, clavecin (Christoph Kern, d’après le « HN1696 », Vienne, vers 1680)
Caroline Delume, Théorbe
François Poly, Basse de violon
Massimo Pinca, Violone en sol

Biber/Stockhausen

Rosenkranzsonaten/Natürliche Dauern

Parmi les compositeurs qui ont entretenu un rapport étroit avec l'instrument, certainement Heinrich Ignaz Franz Biber et Karlheinz Stockhausen, chacun à son époque et selon des dispositifs qui leur sont propres, figurent parmi ceux-ci. Chez tous deux le rapport à l'instrument sous-entend un remodelage profond de celui-ci, ainsi qu'une écriture adaptée à la nouvelle situation créée.

Chez tous deux le rapport à l'instrument sous-entend un remodelage profond de celui-ci, ainsi qu'une écriture adaptée à la nouvelle situation créée. Chez Biber, l'accord du violon est repensé en fonction du programme de chacune des sonates, chez Stockhausen, le piano comme instrument résonant considère l'ensemble de ses paramètres sonores : attaque, résonance et étouffement sont autant de moment pris en charge par l'écriture musicale. Ce programme en deux concerts se concentre tout particulièrement sur cet aspect de ré-invention instrumentale. Au-delà de ce rapport à l'instrument, on note chez les deux compositeur un rôle moteur de la religion : Biber est fortement influencé par les jésuites et par l'esthétique de la contre-réforme ; quant à Stockhausen, depuis son "opus 1" (Kontra-punkte, composé en 1950) jusqu'à la toute fin de sa vie, la mystique rhénane irrigue continuement sa vision artistique. Autre point commun frappant, tous deux ont expérimenté la spatialité de la musique au sein du lieu de concert : Biber composera plusieurs messes à plusieurs chœurs, ainsi que le Requiem en la majeur pour cinq groupes. Stockhausen compose en 1955-57 Gruppen pour trois orchestres et trois chefs, puis Carré en 1959.60 pour quatre orchestres, quatre chœurs et quatre chefs, ainsi que de nombreuses œuvres électroniques utilisant les haut-parleurs comme autant de points de diffusion sonores dans l'espace de concert. — Brice Pauset


Heinrich Ignaz Franz Biber : "Sonates du Rosaires" (environ 1678)

„Les sonates du rosaire“ ou „Les sonate du mystère“ de Heinrich Ignaz Franz Biber nous sont en réalité parvenues sans titre, mais seulement illustrées par des petites gravures du chemin de croix, dans un seul manuscrit connu- celui de Munich- que Biber avait fait calligraphier pour le prince archevêque de Salzbourg Maximilian Gandolf Graf Kuenburg. Ayant été engagé comme musicien de cour en 1670 Biber lui avait déjà dédié quatre grands cycles d’œuvres représentatives différentes, qu’il appelait lui-même son Quadriga, dans des versions imprimées pendant une période de seulement huit ans entre 1676 et 1683. (1676 Sonatae ta maris quam aulis servientes, 1680 Mensa sonora, 1681 Sonatae Violino solo, 1683 Fidicinium sacro-profanum).

Le choix de Biber de ne pas avoir laissé publier ses sonates du rosaire comme il l’avait fait pour ses œuvres précédentes laisse soupçonner qu’il s’était réservé ces sonates pour son propre usage en tant qu’interprète dans des cadres privés au sens de la musica reservata et aussi qu’il n’avait pas voulu se soumettre à la technique de l’impression typographique qui ne permettait pas de reproduire les double-chordes pour la musique de violon.

Biber qui était le plus grand virtuose du violon de son époque tisse un lien fort entre la musique populaire de son temps et la musique savante à travers l’usage des scordaturae qui était très répandu chez les musiciens populaires. Il représente le point culminant de la virtuosité en scordatura, même s’il n’était pas le seul à son époque à l’utiliser dans la musique savante : la scordatura (un accord différent du violon que l’habituel sol-ré-la-mi) était déjà bien connu dans la première moitié du XVIIème siècle en Moravie, par exemple dans la collection de pièces „Liechtensteinsche Musiksammlung“ de Kremsier, où se trouve entre autres des œuvres de Kilmanseck, Johann Heinrich Schmelzer et Johann Fischer que Biber devrait avoir connu.

Il s'approprie cette technique pour élargir l'expression du violon grâce au lien entre le contenu symbolique et théologique de ses sonates, les tonalités et la structure sonore de chaque scordatura qui est dûe aux tensions et résonances de l’instrument très variées et qui permet d’en changer le timbre entre une grande tension trompettante (quand le violon est très tendu avec un accord très haut) jusqu’à des couleurs de viole (quand le violon est plus détendu).

« Malgré » sa technique de violon exceptionnelle, Biber ne se laisse jamais tenter par des passages de virtuosité vide de sens : la virtuosité et la technique de violon imposée par la scordature restent toujours en dialogue avec les idées musicales de composition de la pièce. C'est une musique qui offre à chaque moment différentes possibilités d'interprétation, qui est à la fois religieuse et universelle dans le dépassement des données du programme liturgique, et qui atteint autre chose, une métaphysique au-delà du cadre religieux. — Céline Steiner


Karlheinz Stockhausen : Natürliche Dauern (2005-2006)

En 2004, Stockhausen (1928/2008) entame ce qui sera sa troisième et dernière période créatrice, la première comprenant les chefs-d'œuvre des années 60 jusqu'à Mantra (1970), la seconde étant consacrée à l'écriture de Licht, "Lumière", cycle de 7 opéras portant chacun le nom d'un jour de la semaine.

À 76 ans, Stockhausen se lance donc dans le cycle Klang ("Son"), ou les 24 heures de la journée. Il en composera 21, pour des effectifs tous différents, allant du solo au septuor en passant par une œuvre électronique d'envergure, Cosmic Pulses (13ème heure), et laissera à sa mort le cycle inachevé.

Chez Liszt comme chez Stockhausen on assiste à une remarquable évolution de l'écriture: la virtuosité des débuts fait lentement place à une raréfaction et tout à la fois à une densification du matériau sonore. Là où le jeune compositeur usait, en une grisante volubilité, d'une multitude de notes, l'artiste parvenu à maturité n'en écrit plus qu'une seule, mais ce sera alors une note "massive", comme on parle de noyaux massifs, dotés d'une densité et d'une masse considérable. Chez Liszt il suffira de comparer, par exemple, une paraphrase d'opéra des années 1840 à la version pour piano de "Via crucis" (1878); de Stockhausen, on placera côte-à-côte le Klavierstück X (1961) et la première ou la cinquième pièce des "Durées naturelles" (2007).

Dans ce cycle pour piano, la durée des sons est soumise à des paramètres naturels: durée d'extinction du son, comme dans la première ou la cinquième pièce, ou rythme de la respiration du pianiste, comme à la toute fin de la 24ème pièce. Cela signifie que la durée du son devient fonction de l'instrument sur lequel joue le pianiste, mais également fonction de l'acoustique de la salle de concert.

La 24ème et dernière pièce des "Durées naturelles" consiste, pareillement, en un survol de toutes les techniques utilisées durant le cycle. Entre synopsis et vue d'avion pour ne pas dire d'hélicoptère(s), elle permettra à l'auditeur de ce soir d'acquérir une vision d'ensemble du cycle. — Jean-Pierre Collot


Programme

Concert 1

Heinrich Ignaz Franz Biber : I. Rosenkranz-Sonate C.90 (Die Verkündigung)

Karlheinz Stockhausen : Natürliche Dauern I, II

Heinrich Ignaz Franz Biber: II. Rosenkranz-Sonate C.91 (Mariä Besuch bei Elisabeth)

Karlheinz Stockhausen : Natürliche Dauern III-IV

H.I.F. Biber : III. Rosenkranz-Sonate C.92 (Christi Geburt)

K. Stockhausen : Natürliche Dauern V-VI

H.I.F. Biber : IV. Rosenkranz-Sonate C.93 (Christi Darstellung im Tempel)

K. Stockhausen : Natürliche Dauern VII-VIII

H.I.F. Biber : V. Rosenkranz-Sonate C.94 (Der Zwölfjährige Jesus im Tempel)


Concert 2

H.I.F. Biber : VI. Rosenkranz-Sonate C.95 (Christi Leiden am Ölberg)

K. Stockhausen : Natürliche Dauern IX-X

H.I.F. Biber : VII. Rosenkranz-Sonate C.96 (Die Geißelung)

K. Stockhausen : Natürliche Dauern XI-XII

H.I.F. Biber : VIII. Rosenkranz-Sonate C.97 (Die Dornenkrönung)

K. Stockhausen : Natürliche Dauern XIII-XIV

H.I.F. Biber : IX. Rosenkranz-Sonate C.98 (Die Kreuztragung)

K. Stockhausen : Natürliche Dauern XV-XVI

H.I.F. Biber : X. Rosenkranz-Sonate C.99 (Die Kreuzigung)


Concert 3

H.I.F. Biber : XI. Rosenkranz-Sonate C.100 (Die Auferstehung)

K. Stockhausen : Natürliche Dauern XVII-XVIII

H.I.F. Biber : XII. Rosenkranz-Sonate C.101 (Christi Himmelfahrt)

K. Stockhausen : Natürliche Dauern XIX-XX

H.I.F. Biber : XIII. Rosenkranz-Sonate C.102 (Die Ausgießung des Heiligen Geistes)

K. Stockhausen : Natürliche Dauern XXI-XXII

H.I.F. Biber : XIV. Rosenkranz-Sonate C.103 (Mariä Himmelfahrt

K. Stockhausen : Natürliche Dauern XXIII

H.I.F. Biber : XV. Rosenkranz-Sonate C.104 (Die Krönung der Jungfrau Maria)

K. Stockhausen : Natürliche Dauern XXIV

H.I.F. Biber : Passacaglia



Interprètes

L'Académie des Cosmopolites

Céline Steiner, Violon
Brice Pauset, clavecin (Christoph Kern, d'après le "HN1696", Vienne, vers 1680)
Caroline Delume, Théorbe
François Poly, Basse de violon
Massimo Pinca, Violone en sol

Bach/Pisendel

Johann Sebastian Bach a entretenu de nombreuses amitiés musicales avec d'autres compositeurs de son temps. Parmi ceux-ci figure en bonne place Johann Georg Pisendel qui rencontra Bach à Weimar dès mars 1709. Tous deux virtuoses (Bach aux claviers, Pisendel au violon), leur musique est toujours conservée sous forme de manuscrits à Dresde, plaque tournante des styles italianisants et saxons. Le "Schrank II" de la bibliothèque de Dresde conserve encore dans un même volume un grand nombre d'œuvres instrumentales de la première moitié du XVIIIème, dont deux sonates en mi mineur, l'une de Bach, l'autre de Pisendel, toutes deux entretenant de nombreuses similitudes.

Ce programme est complété par la sonate en sol majeur BWV 1021 et sa sœur jumelle, la sonate en fa majeur BWV 1022, reprenant exactement la même substance musicale, mais dans une veine beaucoup plus polyphonique, là où la version en sol majeur montre plus de folie dix-septiemiste. La fugue BWV 1026, très rarement jouée, complète ce programme.

Sonate BWV 1021 (G-Dur) : Allegro moderato, Vivace, Largo, Presto (11') Violin, Clavecin, Basse d'archet

Pisendel : Sonate e-moll (13') Violin, Clavecin, Basse d'archet

Fuga BWV 1026 (g-moll) (7') Violin, Clavecin, Basse d'archet

Sonate BWV 1023 (e-moll) : (Andante), Allegro, Andante un poco, Presto (14') Violin, Clavecin, Basse d'archet

Sonate BWV 1022 (F-Dur) : Largo, Allegro e presto, Adagio, Presto (12') Violin discordato, Clavecin

Interprètes

L'Académie des Cosmopolites Céline Steiner, violon baroque (Jean-François Aldric, Paris 1793) Brice Pauset, clavecin (Anthony Sidey, Frédéric Bal et Christoph Kern d'après Georg Richter (Saxe), environ 1735) François Poly, basse d'archet (Anonyme, Tyrol ou Venise, ca. 1700)

Mozart à quatre mains

Mozart a peu écrit pour le clavier à quatre mains, mais parmi les six œuvres composées pour cette forme particulière de duo on peut dégager deux moments : les trois premières sonates datant de la période de Salzburg, puis le génial Andante avec cinq variations ainsi que les deux dernières sonates datant de la période viennoise. Entre temps, le panorama instrumental a subi de nombreuses modifications. Tandis que le clavecin avait encore une place pré-éminente durant la première période (c'est après 1777 seulement qu'on a vendu et acheté plus de pianofortes que de clavecins en Autriche) beaucoup d'autres instruments étaient joués en concert ou à la maison : clavicorde, pianos à tangentes, instruments combinés étaient prisés au moins autant que le pianoforte. Dans la période de Vienne, les rôles vont peu à peu se fixer : le clavecin conservera sa place à l'opéra tandis que les instruments à marteaux règneront au concert. Le clavicorde quant à lui conservera la faveur des musiciens professionnels car il permet une gamme expressive sans commune mesure avec ses concurrents, à tel point que des compositeurs comme Anton Bruckner pourront encore le jouer en 1842...

Programme

W. A. Mozart : Sonate in F, KV 497, [terminée à Vienne, 1786] 22 minutes

W. A. Mozart : Andante mit fünf Variationen in G, KV 501 [terminé à Vienne, 1786] 9 minutes

W. A. Mozart : Sonate in C, KV 521, [Vienne, 1787] 25 minutes


Interprètes

L'Académie des Cosmopolites

Brice Pauset et Marcia Hadjimarkos, clavicorde, pianoforte, claviorganum ou piano à tangentes

Schubertiade

Ce concert en deux généreuses parties se propose de plonger le public dans l'atmosphère très particulière des Schubertiades, ces réunions musicales et culturelles privées lors desquelles étaient jouées ses œuvres. De son vivant déjà, ses amis et proches avaient inventé un nouveau genre de rapport entre public (restreint) et musique contemporaine, durant lequel poésie, musique et actualité politique étaient intimement mêlés.

Des genres spécifique ont tout particulièrement irrigué les schubertiades : la musique à quatre mains et les Lieder. Ce sont ces deux genres qui seront à l'honneur dans la première partie du concert avec deux pièces maîtresses du répertoire de pianoforte à quatre mains : le duo opus posthume 144 "Lebensstürme" – tempêtes de la vie), s'ouvrant comme une ouverture tragique, et la célèbre Fantaisie en fa mineur opus 103.

Un choix de Lieder de cette même période tardive complètera ces deux œuvres et annoncera la deuxième partie du concert : ces Lieder partagent de nombreux motifs, quelquefois même des morphologies particulières de l'accompagnement au pianoforte et résoneront comme autant d'ombres portées de la poésie latente des œuvres purement instrumentales. Nous avons fait le pari ici de restituer ces Lieder avec la prononciation viennoise déjà en vigueur à l'époque.

Malgré sa première audition au Musikverein de Vienne, un lieu tout particulièrement exposé en décembre 1827, le trio opus 100 a été joué à cette occasion par le cercle restreint des fidèles de Schubert, les membres du quatuor Schuppanzigh et le pianiste Karl Maria von Bocklet. Candidement dédié "à ceux qui y prendront du plaisir", il est caractéristique de la période tardive de Schubert, avec ses dimensions formelles très imposantes, au point que l'éditeur demandera au compositeur une version plus courte du final, cette version courte qui est jouée invariablement encore aujourd'hui.

Nous donnerons le trio dans son intégralité et dans sa version originale, avec le finale de presque une demi-heure à lui tout seul, finale au cours duquel Schubert ré-injecte tous les motifs des autres mouvements, quelquefois sous une forme polyphonique très savante, en un acte de remémoration des mouvements précédents très en avance sur son temps.


Programme

Franz Schubert : Duo "Lebensstürme" Opus posth. 144, D. 947 (1828) (14 minutes)

Franz Schubert : Lieder de la période 1827-1828 (env. 25 minutes)

Franz Schubert : Fantaisie, opus 103, D. 940 (1828) (17 minutes)

—pause—

Franz Schubert : Trio pour violon, violoncelle et pianoforte en mi bémol majeur opus 100, D. 940 (novembre1827) (57’)


Interprètes

L'Académie des Cosmopolites — Céline Steiner, violon classique, François Poly, violoncelle classique, Marcia Hadjimarkos, pianoforte*, Brice Pauset, pianoforte*, Soanny Fay, soprano (invitée).

*Matthieu Vion et Christopher Clarke, d'après Joseph Brodmann, Vienne, 1814

D'autres programmes sont en préparation (avec quatuor à cordes, quintette avec piano notamment).

Schubert à quatre mains

Une partie non négligeable du répertoire pour pianoforte a quatre mains de Franz Schubert – totalisant environ huit heures de musique – est peu ou pas donnée en concert. Ce corpus d’œuvre révèle la richesse sonore et l’intensité des couleurs des pianofortes viennois de l’époque : chaque octave a son propre timbre, les différentes sourdines et modérateurs sont autant de manière de créer de la distance, l’aspect orchestral de l’instrument est déployé jusqu’à ses extrêmes limites par Schubert.

De très nombreuses formules sont disponibles, du récital d’une heure et demie à l’intégrale en 5 ou 6 concerts.

Interprètes

L’Académie des Cosmopolites

Marcia Hadjimarkos et Brice Pauset, pianoforte

instruments originaux de Johann Fritz (1810) ou Conrad Graf (1825-26), copie de Johann Fritz (env. 1810) par Christopher Clarke, copie de Joseph Brodmann (1814) par Christopher Clarke et Matthieu Vion

Anton Bruckner : VIIIème Symphonie
Version pour piano à quatre mains de Josef Schalk (avec modification par Marcia Hadjimarkos et Brice Pauset)

Anton Bruckner a travaillé de 1884 (début de la composition de la première version) jusqu’à mars 1890 (fin de la composition de la troisième version) à sa huitième symphonie.
Comme dans la septième symphonie, Bruckner renforce et élargit sa palette orchestrale à travers l’utilisation des tubas Wagner (joués par des cornistes). Il en résulte une substance orchestrale très spécifique dotée de possibilités sonores exceptionnelles.

Les dimensions formelles de la huitième symphonie sont gigantesques : le troisième mouvement (adagio) dure à lui seul une demi-heure ; seul Gustav Mahler suivra plus tard cet exemple, sans toutefois le surpasser.
Chaque symphonie de Bruckner sera, après sa composition, rapidement disponible sous forme de réduction pour piano à quatre mains. Cette tradition est restée très populaire et vivante jusqu’à l’apparition de l’enregistrement phonographique et représentait une alternative au concert symphonbique : on pouvait ainsi découvrir de vaste pages symphoniques dans le cadre musical domestique restreint.

Bien entendu un pianoforte ne peut en aucun cas imiter un orchestre, mais l’art de la transcription permet de mettre un intéressant paradoxe en lumière : plus une œuvre originale semble rétive au piano, plus la transcription sonne naturellement et indépendamment de son modèle. Le cas de la huitième symphonie de Anton Bruckner en est un exemple presque parfait : les très longues tenues du premier mouvement, les accords suspendus du mouvement lent, les accords massifs du final contraignent les pianiste à trouver ne nouvelles solutions sonores et à transformer véritablement les fonctions primordiales du pianoforte.

Interprètes

L’Académie des Cosmopolites

Marcia Hadjimarkos et Brice Pauset, pianoforte

pianoforte Conrad Graf, Vienne, env. 1825-26

Bach/Weiss

Silvius Leopold Weiss est un contemporain presque exact de Johann Sebastian Bach. De deux ans son cadet, il fut l'un des plus grands luthistes de tous les temps, ainsi qu'un ami du Cantor de Leipzig, qu'il rencontra au plus tard en 1739, puis de nouveau en 1740. Bach fut sans doute impressioné tant par le compositeur que par l'instrumentiste, puisqu'il reprit en 1746 ou 1747 la sonate en la majeur (SC47) de Weiss qu'il transcrit pour clavecin en lui ajoutant une voix libre, de son cru, pour le violon. Le résultat de cette alchimie particulière (qui rappelle, à quelque siècles de distance, la pratique courante de l'Ars subtilior consistant à ajouter une troisième voix à une pièce pré-existante à deux voix) produit une œuvre étrangement moderne, aux teintes annonçant l'Empfindsamkeitsstil que mènera à bien son fils aîné Carl Philipp Emanuel (même si le "vieux" a pu montrer qu'il maîtrisait déjà parfaitement les ressorts de cette nouvellevague musicale – on pense au troisième mouvement de la sonate en trio de l'Offrande musicale, mais aussi à l'Aria de basse "Rühmet Gottes Güt und Treu" de la cantate de mariage BWV 195).

Ce programme est complété par la sonate en sol majeur BWV 1021 et sa sœur jumelle, la sonate en fa majeur BWV 1022, reprenant exactement la même substance musicale, mais dans une veine beaucoup plus polyphonique, là où la version en sol majeur montre plus de folie dix-septiemiste. La fugue BWV 1026, très rarement jouée, complète ce programme.


Programme

Sonate BWV 1021 (G-Dur) : Allegro moderato, Vivace, Largo, Presto (11') Violin, Clavecin, Basse d'archet

Fuga BWV 1026 (g-moll) (7') Violin, Clavecin, Basse d'archet

Suite BWV 1025 (A-Dur) : Fantasia, Courante, Entrée, Rondeau, Sarabande, Menuet, Allegro (26') Violin, Clavecin

Sonate BWV 1022 (F-Dur) : Largo, Allegro e presto, Adagio, Presto (12') Violin discordato, Clavecin


Interprètes

L'Académie des Cosmopolites

Céline Steiner, violon baroque (Jean-François Aldric, Paris 1793)
Brice Pauset, clavecin (Anthony Sidey, Frédéric Bal et Christoph Kern d'après Georg Richter (Saxe), environ 1735)
François Poly, basse d'archet (Anonyme, Tyrol ou Venise, ca. 1700)

Vanitas

Claudio Merulo, Biagio Marini, Barbara Strozzi, Gioanpietro del Buono, Salvatore Sciarrino

Ce programme italien articule les affects ébouriffés de la renaissance et du tout premier baroque avec les hybridations de Vanitas, œuvre maîtresse de Salvatore Sciarrino. Métaphysique du vide, art de la transformation permanente et goût pour l'obscurité des sensations transpirant du texte constituent des points communs évidents entre les œuvres de ce programme. Claudio Merulo est un maître de la subversion des règles et plie l'écriture pour clavier à l'emprise des expressions, comme si l'instrument cachait un madrigal secret. Biagio Marini propose des "inventions curieuses et modernes" dans les sonates pour violon, excédant très largement l'ambitus habituel réservé à cet instrument à l'époque réputé impur. De par son éducation littéraire très sophistiquée et ses talents de chanteuse virtuose, Barbara Strozzi était prédestinée pour composer les cantates les plus extravagantes et bizarres de son temps ; associée à l' Accademia dei Incogniti fondée par le littérateur passionné Giovan Francesco Loredan, elle ne cessera de surprendre par la vive intelligence de sa musique, toute à son image. L'étrange Fuga cromatica de Gioanpietro del Buono est tirée de ses canons sur l'Ave Maris Stella, seule œuvre connue de lui, dont l'existence même n'est que mystères...


Claudio Merulo: Toccata I - Libro primo, Venise 1597 (5'20'') — clavecin solo

Biagio Marini*: Sonata III (la mineur) (7'00'')— violon principal et continuo (clavecin, théorbe, basse de violon en taille, violone)

Barbara Strozzi: Cantate Giungerà pur mai alla linea crudele (9'00'') — voix et continuo (violon et basse de violon en taille, clavecin, théorbe, violone)

Biagio Marini*: Sonata IV (la mineur) — violon principal et continuo (clavecin, théorbe, basse de violon en taille, violone)

Gioanpietro del Buono: Fuga cromatica (1641) (ré mineur) (4'00'')— clavecin solo

Salvatore Sciarrino: Vanitas, Natura morta in un atto, per voce, violoncello e piano (1981)(45')— voix, violoncelle, piano


*Biagio Marini : pièces tirées des „Sonate, symphonie,Canzoni, Passemezzi, Baletti, Corenti, Gagliarde e Retornelli per ogni sorte d’Instrumenti“, Venise, 1629

Durée totale du programme 1h20 autant que possible sans entracte


Interprètes

L'Académie des Cosmopolites

Céline Steiner, Violon baroque
François Poly, basse de violon à cinq cordes, violoncelle
Massimo Pinca, violone en sol
Brice Pauset, clavecin (Thomas Schüler, d'après Alessandro Trasuntino, Venise, 1531)
Caroline Delume, théorbe
Jean-Pierre Collot, piano moderne
Anna Piroli, voix (invitée)